Rouen, quai de Paris, 1912

L’œuvre

Peint depuis la fenêtre de sa chambre d’hôtel, c’est le pont Boieldieu, enjambant la Seine, qui a retenu l’attention d’Albert Marquet. Le point de vue élevé permet, par un effet de plongée, d’embrasser du regard ce paysage urbain, rythmé par de multiples constructions (entrepôts, usines, cheminées, etc.) qui témoignent d’une ville où se développent l’industrialisation et les échanges commerciaux. En mettant l’accent sur les enjeux de la ville au sein de la modernité et en adoptant un point de vue plongeant, l’artiste renouvelle la représentation traditionnelle du paysage urbain.

Grâce au jeu de lignes obliques induit par le quai de Paris ou le pont, la composition introduit une profondeur, conduisant le regard vers la berge opposée, l’horizon et le ciel. Ce dernier, nuageux et venteux, rend compte d’une atmosphère humide que laissent déjà deviner l’utilisation de couleurs diluées ou le traitement de reflets sur le sol, au premier plan.

Parallèlement, la fumée des cheminées, l’écoulement du fleuve, les passants et les voitures qui se déplacent, introduisent le mouvement au sein de la composition et rendent compte des notions de fugitif et d’éphémère, que Charles Baudelaire a théorisées à propos de la vie moderne.

Réduite à des gris, des ocres, ou encore des beiges rosés, la palette témoigne d’une économie de moyens. Cette simplification est aussi sensible par le peu de détails qui animent le paysage. Les constructions sont travaillées par masses colorées et définies par un cerne noir tandis que les passants et les voitures se réduisent à quelques signes.

S’attachant à un motif déjà retenu en 1896 par le peintre impressionniste Camille Pissarro, Rouen, quai de Paris  se rattache à un ensemble de vues réalisées par Albert Marquet au cours de deux séjours effectués à Rouen en 1912.

L’artiste

Albert Marquet (Bordeaux, 1875 – Paris, 1947), artiste français.
Arrivé à Paris en 1890, Albert Marquet suit tout d’abord les cours de l’école nationale des Arts décoratifs puis en 1894, ceux de l’école des Beaux-arts de Paris. À partir de 1905, il participe à l’aventure du fauvisme, même s’il se livre avec réticence aux audaces colorées, se situant ainsi plus dans la lignée de Raoul Dufy que dans celle d’Henri Matisse.

À partir de 1907, date de sa première exposition personnelle à la galerie Druet à Paris, Albert Marquet s’engage dans la « période sombre » de son œuvre. Les couleurs vives du fauvisme cèdent la place à une palette austère, dominée par des bruns et des gris. L’artiste peint alors de nombreuses vues fluviales ou portuaires, qu’il aime à découvrir en France ou à l’étranger. Mais, s’il met à profit ces voyages pour réaliser de nombreux paysages, les bords de la Seine resteront tout au long de sa vie, son motif de prédilection.

L'œuvre dans son contexte